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Le gâteau des Rois et des suffrages

Les galettes, selon Claude Monet (1882).

Le jour des Rois était souvent un jour privilégié pour s’acquitter des loyers annexes, souvent en nature, aux propriétaires fonciers.

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Dans les contrats de fermage, il a été longtemps une tradition : verser de menues redevances en nature — volaille, cochon, beurre — au propriétaire. Cette pratique, qui rappelle les liens de dépendance entre les preneurs et les bailleurs, prenait souvent le nom de « suffrages ». Or, ces suffrages sont particulièrement présents de Noël aux Rois, à la saison d’hiver, quand les gros travaux agricoles s’interrompent. On se replie alors à l’intérieur, dans l’univers domestique. En Beauce, Germain Petit acquiert-il une ferme d’une vingtaine d’hectares à Bonvilliers (Essonne), à 5 kilomètres au nord de chez lui ? Elle est aussitôt louée à un laboureur du cru pour 700 livres mais aussi « six chapons, un cent de gerbes de chaume et un gâteau de farine de blé ».

Une des dates les plus prisées à ce genre de loyers annexes

Le jour des Rois constituait l’une des dates les plus prisées à ce genre de loyers annexes. Ainsi en allait-il pour de nombreux meuniers. À Maffliers (Val-d’Oise), en 1629, le moulin à eau est mis en location pour sept ans par « maître » Nicolas Delacour, receveur des seigneurs du lieu. En dehors des 400 livres de fermage, le nouveau meunier, Adrien Bercher, est chargé de lui verser « 12 chapons et un gâteau par chacun an ». En 1640, le loyer est passé à 625 livres et le nouvel arrivant s’engage à livrer « pour le jour des Rois », une douzaine de chapons et « un gâteau valant 40 sols ». Le moulin tourne mal et le meunier s’en va.

Qu’à cela ne tienne, le 11 octobre 1641, Nicolas Delacourt consent bien à réduire de 575 livres le loyer, « payable de trois en trois mois par égale portion à partir de Noël prochain », mais Jean Bucquet, le nouveau preneur, n’échappe pas aux douze chapons et au gâteau valant 40 sols « payables le jour des Rois ». Quinze ans plus tard, en 1656, avec Simon Gonse, un quatrième meunier, on descend à 500 livres pour un bail de cinq années seulement, mais, intangibles, les suffrages du moulin de Béhu restent fixés à « un gâteau et douze chapons ». Indéniablement, la valeur symbolique de ce complément allait bien au-delà de sa simple valeur économique.

Du Poitou au Bourbonnais, et même au-delà

Les petites exploitations en métayage du centre de la France étaient tributaires de ce système, du Poitou au Bourbonnais, et même au-delà. En 1782, à Bonneuil-Matours (Vienne), au nord-est de Poitiers, César de Marans, seigneur des lieux, loue métairies et borderies. Comme dans bien des régions de l’Ouest, la borderie est souvent une métairie en réduction. Avec 5 ha, la borderie des Jutands est modeste. Le 12 décembre, la voici affermée pour sept ans à Jean Richard et Jeanne Barde. Ici aussi le bail impose un partage des fruits à moitié auxquels s’ajoutent des « suffrages ».

Mais ces suffrages sont proportionnellement plus lourds. Alors que la métairie voisine de la Cour, qui atteint 70 ha, est assujettie à 200 fagots de paille de seigle, deux douzaines de poulets, dix chapons, deux poules, deux douzaines d’œufs et un gâteau des Rois d’« un boisseau de farine blanche pétri d’une livre de beurre », les locataires de la borderie sont lourdement taxés : douze poulets, deux chapons, quatre douzaines d’œufs, le tiers des dindons et des oies et le gâteau rituel… à la fête des Rois.

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